Octobre

Samedi 9 octobre
Pas écrit une syllabe depuis belle lurette. Je reprends la plume pour laisser trace des divers changements qui s'opèrent actuellement. Deux principaux à l'affiche : je retourne à Paris me battre, crocs en avant et Dalloz en poche, afin de sauver mon entreprise de la faillite ; je vais très probablement mettre fin à ma relation sentimentale avec Kate.
La décrépitude de ma personnalité a créé des pertes considérables. Nous avons été contraints de décider des licenciements économiques pour que survivent les autres salariés. Les projets foisonnent, mais la dette globale est très lourde et les hommes qui animent les sociétés sont, pour la plupart, moi en tête de proue, à la limite de l'inaptitude. Mais bon, il faut se relever ce qu'il reste de manches et foncer vers l'espoir.
Il faudra que j'explique, d'abord à moi-même, comment j'ai pu me laisser dériver vers ce naufrage humain, existentiel. La cause principale, nous la connaissons tous : ma relation avec Kate. L'incompatibilité a tout ravagé. Je sais maintenant, malgré les sentiments qui persistent à son égard, que nous ne pourrons jamais envisager autre chose qu'une destruction mutuelle. L'antagonisme est trop prononcé, et l'insatisfaction réciproque trop à fleur de peau. Je ne veux pas continuer à entraîner Kate vers ce cul-de-sac affectif. Toutes les méthodes ont été testées vainement. Mon cœur est serré, mais je dois me résoudre à cette décision salutaire pour nous deux. Nous n'aurions jamais dû nous choisir.
Je ne veux point de rupture « bête et brutale » à la Brel. J'apprécierais d'autant plus Kate, sa féminité extrême, sa charmante compagnie, si je ne suis plus miné par la quotidienneté d'un amour maladif. Je tiens à inscrire ici mon sentiment profond : Kate n'est en aucun cas responsable directement de ma déliquescence. Notre rapport, mon incapacité à ouvrir cette jeune fille, m'ont coûté l'essentiel de mon âme, de ma dignité humaine. Je sais parfaitement que ces composants immatériels sont uniques à chacun d'entre nous, et que je ne pourrais reconstituer que des ersatz. J'ai joué, j'ai perdu, tant pis pour moi. J'espère simplement n'avoir pas trop détruit la vie de toute ma famille, et que Kate trouvera le bonheur. Non, non je ne me mettrai pas à prier.
Petit regard à l'extérieur de mes tourments. Je reviens du château d'Au, vers le château d'O. Encore une merveilleuse journée de labeur, constructive dans son essence. Nous nous attelons à la réfection des pièces : ponçage, grattage, peinturlurage s'effectuent en chœur. Plaisir intense de participer à la renaissance esthétique d'un intérieur.
L'actualité, je la suis d'une oreille ensommeillée, à six heures du matin, sur France Info, et d'un œil distrait à la Grand-messe du Vingt heures.
Réconciliation israélo-palestinienne autour du joufflu Clinton le Comique, président des Etats-Unis paraît-il.
Balladur, notre Premier ministre cohabitationniste, mène gentiment sa politique, auréolé d'une popularité massive. Les Français se montreront-ils fidèles jusqu'au bout pour une fois, en dépit des changements illusoires de leur situation ?
La feue Yougoslavie et Sarajevo, ville symbole du martyr, sont toujours tripes à l'air. Moi, imperméable au conflit. L'absurde de ces combats est si prononcé que ça dégoûte de toute intervention. Quel misérable bout de terre mérite-t-il que l'on massacre à tours de bras croates, musulmans et autres ? L'involution règne en maître.

Vendredi 15 octobre
0h40. Ma relation amicale avec Kate est décidée. Je veux cesser notre relation quotidienne empreinte d'une tendance névrotique. Ce soir au téléphone je lui explique mon désir que l’on ne s’appelle ni ne se rencontre pendant un mois, le temps de se reconstituer chacun de son côté, et de repartir dans une relation amicale, saine et sans perturbation.
Ma personnalité ne doit plus faire ces soubresauts entre décomposition et éphémère reconstitution.

Dimanche 17 octobre
0h29. Silence dans le château. Douillettement, à l'horizontal dans mon plumard, je peux profiter de cette quiétude en puissance pour me triturer un tant soit peu l'intérieur. Mon incapacité à la relation humaine m'a coûté le brillant avenir qui m'était promis. Je ne dirige plus aujourd'hui qu'un monceau de ruines.

Dimanche 25 octobre
Pas beaucoup de penchant pour l'écriture ces temps-ci. Mon destin prend une mauvaise couleur. Je dois me battre comme un forcené si je veux avoir une très infime chance de m'en sortir.

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