Décembre

Dimanche 5 décembre
Minuit et demi. De retour d'Au, que je n'avais pas vu depuis de nombreuses semaines, en partance imminente pour Paris (mon réveil sonnera à cinq heures), je profite de cet instant de calme solitude, seul dans le château d'O, pour croquer en quelques lignes l'état des choses.
L'accélération du désastre dans les sociétés du gie Ornicar m'a propulsé gestionnaire de crise. La part essentielle de ma responsabilité dans ce naufrage m'a conduit naturellement à prendre la présidence du groupement et la gérance de la sebm et d'Odilivre. Rassemblement de toutes ces structures en perdition à Paris, rue de l'Ouest, dans l'immeuble (rénové) où j'ai résidé petiot avec pater-mater. Comme les déchéances se retrouvent...
Aparté : dans le train à destination d'Amiens, j'assiste à une aube bleu turquoise où la pureté hivernale s'exhale de la transparence des cieux. Magique naissance du jour seigneurial où les dégradés font bon ton. A tous les désespérés grassement romantiques : levez la tête et vous vous réconcilierez avec le monde. La maladie, la faim et la souffrance physique sont les seuls maux justifiant un abattement passager.
Objectif de funambule enragé : tenir le plus longtemps possible et, lorsque le fil deviendra intenable, s'évertuer à rendre la chute aérienne. En détail, je vogue entre le téléphone, les courriers, les procédures en cours et les convocations au tribunal d'ici ou là. A cela s'ajoutent une tonne de chèques sans provision émis par les sociétés que je gère, les retards énormes pris dans la comptabilité et la sortie des comptes annuels, les paiements minimums à assurer (paie, dépenses caisse, etc.).
Les sanctions éventuelles qui pourraient être prononcées contre moi ne m'inquiètent pas, je les assumerai jusqu'au bout. En revanche, toute mon action doit avoir pour objet principal que personne, parmi les gens que j'aime et qui m'ont fait confiance, que j'ai quelque part abusés, ne soit éclaboussé par cette gabegie. Nulle tendance masochiste dans cet étalage ; simple honnêteté face au temps qui passera. Si un soupçon de moralité peut transparaître, je me dois de le consigner ici.
Kate ne m'a pas rappelé. Je crois que nos chemins se sont définitivement séparés. Quel gâchis, toute cette histoire !
Cette existence, qui devait rayonner à tout instant, s'avachit dans une mare mouvante où la première des déficiences est l'incapacité d'appréhender quoi que ce soit. Honnêtement, je pense avoir des cases vides ou très mal agencées.
J'ai très nettement l'impression d'avoir loupé mon départ. L'existence passe comme un éclair, je ne sais si j'aurais l'opportunité de construire autre chose. Chance incalculable pour moi de n'avoir à assumer que des soucis professionnels. Si la maladie et la douleur physique s'y ajoutaient, le choc quotidien serait trop rude.
Si je peux faire patienter avec intelligence et subtilité le beau et énorme monde des créanciers de tous poils, le temps de préparer une sereine liquidation en cas d’impossible redressement, je peux avoir l'âme en paix.
Revu Elodie D., une ancienne camarade de faculté, petite poupée blonde très agréable et bien équilibrée. Très reposant moment en sa compagnie. Je précise, à mon grand regret, que cette demoiselle est déjà en quasi-ménage.
Pas vu mes pater-mater depuis des mois, et je n'en ressens nul besoin et envie. Je me trouve déjà suffisamment médiocre pour ne pas chercher à m'en rajouter une couche. Idem pour frères, cousins, tantes, oncles et autres accointances héréditaires.

Dimanche 12 décembre
Je me dois d'inscrire ici les investigations menées dimanche dernier. Objectif : retrouver Aurore mon premier amour.


Je me suis rendu dans la ville où elle réside et, interrogeant l'autochtone, je découvre rapidement sa maisonnette. Pas de chance, elle est à Paris pour garder des gniards m'apprend sa mère. Je récupère au passage son numéro de téléphone qui m'avait tant manqué à l'époque. Insatisfait malgré tout, je suis résolu à intercepter la demoiselle à la gare Montparnasse.
Les retrouvailles ont lieu. Fantastiques impressions. Sa silhouette ne m'a pas échappé un instant. Sa bouille tendre et pathétique, son corps finement épanoui, sa voix fluette et chantante : ma douce muse, comme à son origine.
Mes quelques expériences éphémères ne m'apportent rien. Mon besoin de stabiliser une relation douce et sensuelle s'érige, plus urgente que jamais. L’entente instinctive avec cette belle demoiselle est un gage de sécurité, si sa psychologie ne flanche pas encore. Elle s'est donnée sur tous les plans, et je la sens nettement plus confiante. Il nous faut cette fois nous découvrir au plus profond et nous faire du bien, nous rendre heureux. Voilà ce qui doit tisser notre rapprochement.
Je veux garder cette relation-résurrection secrète tant que je n'aurais pas prouvé, par mon comportement et mes actions, qu'elle a une influence positive et grandissante. Je veux laisser faire le temps.

Mercredi 15 décembre
Tout juste minuit me faisant passer au jeudi. Je viens de fermer mon vieil ordinateur, un Compaq de Mathusalem (qui n’a de portable que la classification commerciale) bruyant et lent comme seules peuvent l’être les reliques informatiques. Journée qui s'achève studieusement ma foi.
J'ai reçu aujourd'hui une carte grand format, luxueuse avec photo en couleur, de mon pater pour m'annoncer la naissance, le 17 novembre, d'Alex, rejeton de la nouvelle fournée decrauzienne. Je leur ai répondu par une gentille lettre. Comme je l'explique, j'ai opté pour le retranchement et je n'ai pas envie d'aller me baigner dans des milieux d'accointances héréditaires.
L'actualité n'a plus le beau rôle sous ma plume ces temps-ci. J'y reviendrai avec délice bientôt.
Minuit et sept minutes sur France Info. Chez moi aussi alors ! Je dois vite aller ronfler, mon réveil étant programmé pour beugler à 4h55. Bonne nuit les petits...

Jeudi 16 décembre
Une journée de plus dans la gestion de la crise. Par des courriers tous azimuts, j'essaie de faire patienter les créanciers les plus pressants.

Samedi 18 décembre
Folle journée en cours. Nuit blanche comme préliminaire, je me suis investi de la mission de convoyer un précieux ouvrage que nous devons exhumer. Lieu de destination : Epinal, petite commune vosgienne dont j'ai pu vérifier la sagesse. Sage comme une image : les gamins n'ont qu'à bien se tenir.


Train à l'aube qui devient très vite pour moi le ronfloir idéal. La puissance soporifique du cheval de fer, de l'espèce corail, est pour moi sans égal, sitôt que le terrain physiologique est favorable. Peu importe alors l'attrait du scribouillage ou du paysage : le plaisir envoûtant du bercement sur rail submerge ma conscience curieuse.
Rendez-vous avec le nouveau responsable de la bibliothèque municipale installée dans une imposante bâtisse, du XIXe siècle, aux inspirations architecturales d'époque romaine impériale. Il me raconte que cette folie immobilière doit son existence à un particulier avec le sou qui, après cette érection, le perdit et se fit sa petite décadence d'Empire. Le lieu, maudit pour le commerce, ne pouvait plus servir qu'à engranger le savoir livresque détaché des contingences pécuniaires.
Me voilà en charge du bel ouvrage de Karl Charton (Revue pittoresque, historique et statistique des Vosges), truffé de superbes lithographies de Ravignat.
De retour vers Lutèce. Le paysage qui file sous mon regard apaise les sens et développe l'envie d'exister : il se courbe et se redresse magnifiquement, offrant encore des teintes automnales en pastels enchanteurs. Voilà ma vieille habitude de poéter qui reprend le dessus.
Un peu d'actualité que diable ! Quoi s'est il passé donc pendant ce temps tout ? Désordonné-je. Rien de bien fracassant à vrai dire.
Balladur nous a négocié, d'une poigne ménageant la chèvre et le chou, les accords du gatt qui vont donner naissance à l'omc (Organisation mondiale du Commerce) comme il existe déjà l'oms. Enfin on pourra, non seulement soigner sa grippe, mais acheter ses saucisses en toute tranquillité. Tout le monde, hormis quelques teigneux irréductibles, reconnaît l’habileté du Grand-Tout-Mou (sic Les Guignols de l'Info, Canal +) à se dépatouiller dans cet imbroglio d'intérêts contradictoires. Chapeau Edouard ! Voilà qui mérite quelques bons points de plus... sur l'échelle sacralisée des satisfaits de bva-Ipsos.

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